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Portrait of Jason
Vidéo numérique
"Portrait of Jason" a été tourné une nuit de décembre 1966 dans la chambre qu’occupe alors Shirley Clarke au mythique Chelsea Hotel à New York. Seul face à la caméra, Jason Holliday se met en scène, interprète les personnages croisés lors d’une vie qu’il s’est partiellement inventée et se raconte, une bouteille de scotch et une cigarette à la main. Dans les années 50-60, le cinéma New-yorkais se démarque d’Hollywood. L’apparition de la caméra légère et du son synchrone donne l’opportunité à des cinéastes d’aborder de nouveaux sujets et d’inventer de nouvelles façons de filmer en rupture avec les codes de l’époque. Shirley Clarke, danseuse de formation, va s’attacher dans ses films à dévoiler des univers tout à fait à l’opposé de son milieu aisé juif-new yorkais d’origine. The Connection (1961) montre des héroïnomanes dans l’attente de leur dealer (appelé le “en attendant Godot de la drogue” par Jonas Mekas). The Cool World (1963) immerge le spectateur dans le quotidien de jeunes afroaméricains des gangs de Harlem. Enfin, Portrait of Jason révèle le personnage bavard de Jason Holliday, prostitué, noir et homosexuel, en état d’ébriété avancé. Conceptrice avec Jonas Mekas du manifeste du New American Cinéma Group en 1960 qui déclare “Nous ne voulons plus d’un cinéma rose bonbon mais des films faits avec du sang”, la réalisatrice signe avec ce long métrage en pellicule 16mm un portrait très original et abrupt, qui laisse totalement la parole à son sujet. Pendant 12 heures, Jason dévoile sa vie, sans pudeur, devant la caméra. Il est guidé par la réalisatrice et d’autres personnes présentes dans la pièce, qui l’accablent et le manipulent. Cette performance locutive sous l’emprise de l’alcool et de l'herbe provoque un tourbillon émotionnel chez ce dandy demi-mondain à la dérive. Jason joue son numéro, semble t’il habituel, glissant comme un poisson entre les personnages et les récits dont nous ne saurons jamais la part de mensonges. Le “cinéma vérité” revu par Shirley Clarke, et plus largement par le New American Cinema Group, consiste à partir du réel pour aller vers la fiction. Par la durée et la frontalité du dispositif et les interventions de l’équipe de tournage, le film assume sa dimension théâtrale et la présence de la caméra. Shirley Clarke ne veut plus croire aux mystifications du cinéma, cela explique pourquoi Portrait of Jason, qui ne transige pas avec le réel mais le bouscule, est un film peu aimable, déroutant et “ absolument fascinant” (Ingmar Bergman).