Histoires mémorables…par Jean Chassanion
Histoires mémorables des grans et merveilleux jugemens et punitions de Dieu avenues au monde, principalemant sur les grans, à cause de leurs mesfaits, contrevenans aux Commandemens de la Loy de Dieu. Par Jean Chassanion de Monistrol en Vellay. Par Jean le Preux. M. D. LXXXVI [Genève]
Collection Bibliothèque municipale de Belfort, 8°33
« […]François Rabelais ayant humé de ce poison, s’est voulu moquer de toute religion, comme un vilain & profane qu’il estoit. Dieu lui osta tellement le sens, qu’ayant mene une vie de pourceau, il mourrut aussi brutalement [...] se moquant de ceux qui lui parloyent de Dieu & de sa misericorde. »
Chapitre XXIII, Des Epicuriens & atheistes, (p.164)
JEAN CHASSANION : UN DES RARES EXEMPLAIRES DE SES HISTOIRES MÉMORABLES CONSERVÉ À BELFORT
Mariette Cuénin-Lieber
Lors de l’exposition « La peste l’animal ! », organisée par la Bibliothèque de Belfort en septembre 2018 dans le cadre de la manifestation régionale Patrimoines écrits en Bourgogne Franche-Comté, a été présenté un ouvrage de Jean Chassanion, paru en 1586. Présentation qui se justifiait : l’auteur, un pasteur, mentionne la peste parmi les fléaux dont Dieu frappe les hommes en punition de leurs « iniquitez1 ». Cette explication d’une maladie, qui sévissait en Europe à l’état endémique depuis le milieu du XIVe siècle, n’a rien de singulier. Théologiens, savants et médecins partageaient le même point de vue. Mais le livre de Jean Chassanion mérite de retenir l’attention davantage que le temps d’une exposition : il a en effet appartenu aux Capucins belfortains et fait donc partie du fonds le plus ancien de la Bibliothèque municipale. Avant d’en venir à cet exemplaire, arrêtons-nous à l’auteur lui-même pour replacer dans l’ensemble de son œuvre et dans le contexte politico-religieux de leur publication les Histoires mémorables des grans et merveilleux jugemens et punitions de Dieu avenues au monde, principalemant sur les grans, à cause de leurs mesfaits, contrevenans aux Commandemens de la Loy de Dieu.
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1Histoires mémorables, p. 509. Quand nous citons un texte d’après une édition ancienne, nous conservons l’orthographe d’origine. La transcription des titres est plus délicate vu la manière dont ils sont imprimés : parties entièrement en majuscules souvent non accentuées, parties en minuscules avec des majuscules à l’initiale de certains mots. Nous avons fait le choix de conserver globalement la graphie d’origine, mais accentué les voyelles et la préposition à, quand elles ne l’étaient pas, et fait les distinctions i/j et u/v : par exemple auenues devient avenues et IVGEMENS jugemens. Quant aux majuscules, nous avons appliqué les normes actuelles, mais conservé celles qui étaient significatives, par exemple « Commandemens de la Loy de Dieu ».
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1Histoires mémorables, p. 509. Quand nous citons un texte d’après une édition ancienne, nous conservons l’orthographe d’origine. La transcription des titres est plus délicate vu la manière dont ils sont imprimés : parties entièrement en majuscules souvent non accentuées, parties en minuscules avec des majuscules à l’initiale de certains mots. Nous avons fait le choix de conserver globalement la graphie d’origine, mais accentué les voyelles et la préposition à, quand elles ne l’étaient pas, et fait les distinctions i/j et u/v : par exemple auenues devient avenues et IVGEMENS jugemens. Quant aux majuscules, nous avons appliqué les normes actuelles, mais conservé celles qui étaient significatives, par exemple « Commandemens de la Loy de Dieu ».
Jean Chassanion, un pasteur écrivain
« PAR IEAN CHASSANION de Monistrol en Vellay » : cette mention est imprimée sur la page de titre des Histoires mémorables. L’auteur avait déjà signé son premier livre, un ouvrage en latin paru à Bâle en 1580, De Gigantibus, eorumque reliquiis2, en indiquant son nom et son lieu de naissance : « Authore IOAN. CASSANIONE Monostroliense ». Sur la page de titre de la traduction allemande, Bericht von den alten Riesen, publiée en 1588 à Görlitz par Ambrosius Fritsch, on lit : « Iohan. Cassione von Monstrohl in Frankreich3». En 1595, Chassanion signa son Histoire des Albigeois « par Iean Chassanion de Monistrol en Vellai4». Il rappela ainsi à plusieurs reprises sa ville natale, aujourd’hui Monistrol-sur-Loire. Elle était depuis le XIIIe siècle la résidence d’été des évêques du Puy, qui y possédaient un château. Cette présence épiscopale assez fastueuse joua-t-elle un rôle dans la conversion de Chassanion ? Toujours est-il qu’il devint pasteur.
Quand parut son premier livre, Chassanion vivait à Metz, où il était arrivé le 1er septembre 1576. Il décéderait dans le Pays messin fin juin 15985. C’est au cours de cette période de sa vie qu’il écrivit et publia ses livres. Dans De Gigantibus, s’appuyant sur des découvertes récentes de restes fossiles, notamment en France, il traita des géants depuis le déluge, s’intéressant aussi à ses contemporains de grande taille et se demandant pourquoi les géants avaient disparu. Une expérience personnelle avait nourri sa réflexion : alors qu’il séjournait à Valence, il avait vu des ossements6. Un an plus tard, en 1581, il fit paraître Des grands et redoutables jugemens et punitions de Dieu advenus au monde7, dont les Histoires mémorables seraient une version augmentée et remaniée8. L’ouvrage suivant fut suscité par une affaire qui agita la vie religieuse messine. Noël Journet, jeune maître d’école, avait rédigé des écrits dans lesquels il regardait la Bible comme un ensemble de fables et s’en prenait à des dogmes du christianisme, niant la Trinité et la divinité du Christ. Livré à la justice, il fut condamné au bûcher le 27 juin 1582, sentence rapidement exécutée. Tout comme les catholiques, les réformés virent en Journet un blasphémateur, mais d’autant plus dangereux pour leur cause qu’il avait adhéré à la Réforme pour s’en éloigner ensuite. Chassanion condamna ses idées dans La Réfutation des erreurs estranges & blasphèmes horribles contre Dieu & l’Escripture saincte, ouvrage publié en 1583 à Strasbourg, chez Nicolas Wyriot et signé « IEAN CHASSANION MINISTRE de l’Eglise reformée de Metz9» . Le livre s’ouvre sur un avis « Au Lecteur Chrestien », dans lequel Chassanion en justifie l’écriture : le « bruit » de ce qui s’est passé à Metz « a peu voler bien loin » et ceux qui en ont entendu parler n’étaient peut-être pas bien informés. Il lui fallait donc « mettre par escrit la verité du faict ». Mais il explique aussi qu’il veut donner un enseignement à ses lecteurs, afin qu’ils ne tombent pas dans les erreurs de Journet : « A quoy i’ay adiousté vn aduertissement, du moyen qu’on doit tenir à lire les Escritures sainctes, & comment on y doit estre preparé pour y profiter, & en tirer l’instruction qui est necessaire. » Au dos de la page de titre, la mention d’un proverbe annonçait déjà la volonté de mettre en garde les fidèles : « Prouerb. 3. Ne sois point sage à ton opinion : mais crain l’Eternel. » L’avertissement occupe presque le cinquième du volume. Celui qui aura suivi les conseils du pasteur « profitera grandement, & receura fruit & doctrine salutaire pour la ioye & consolation de son ame. » Deux ans plus tard, en 1585, Chassanion publia La Consolation de l’âme sur l’asseurance de la rémission des péchez, suyvans les promesses de Dieu les plus notables, contenues en l’Escriture sainte10, qu’il dédia aux fidèles de l’Église réformée de Metz.
« A Heidelberg le 15 Aoust 1586. » : c’est ainsi qu’est datée l’épître dédicatoire des Histoires mémorables. Le livre est dédié « A tres haut, tres-illustre et tres vertueux Prince, Monseigneur Iean Casimir, Comte Palatin du Rhin, Duc de Bauiere, &c. Administrateur de l’Electorat, Grace & paix en nostre Seigneur Iesus Christ. » Dans l’épître, Chassanion exprime sa reconnaissance à l’égard du prince : « L’ouuerture que vostre Altesse a faite à l’Eglise Frã[n]çoise en la ville d’Heidelberg des le commancemant de cete annee, montre clairemant le saint zele qu’elle a enuers Dieu […]. » Celui auquel s’adresse ainsi le pasteur appartenait à la maison de Wittelsbach, ce que rappelle la mention de la Bavière. Son frère aîné étant décédé en 1583, il était le tuteur de son neveu Frédéric IV. Il administra l’Électorat en son nom jusqu’à son décès en 1592. Chassanion loue son « saint zele ». Comme son père Frédéric III, Jean Casimir adhérait à la Réforme, alors que son frère était favorable au luthéranisme, confession qu’il imposa dans l’Électorat quand il accéda au pouvoir. Par testament, Frédéric III avait assuré à Jean Casimir un domaine, le faisant seigneur –Landesherr – de Pfalz-Lautern. Le prince y fonda en 1578 à Neustadt – aujourd’hui Neustadt an der Weinstrasse – le Casimirianum, établissement universitaire destiné à accueillir professeurs et étudiants réformés, qui n’étaient alors plus autorisés à enseigner et étudier à l’université de Heidelberg. Réputé, le Casimirianum attira en outre des réformés de toute l’Europe. Après la mort de son frère, Jean Casimir regagna Heidelberg. Les réformés eurent à nouveau accès à l’université de la ville, qui redevint un des hauts lieux intellectuels de la Réforme en Europe.
Jean Casimir avait séjourné à Paris dans sa jeunesse. Il parlait la langue française – « elle vous est familiere & agreable », écrit Chassanion dans sa dédicace – et connaissait la situation religieuse du royaume. Il s’en mêla, avec des mercenaires qu’il recrutait, pour répondre à l’appel de ses coreligionnaires. Quand Chassanion se réfugia à Heidelberg, il était déjà intervenu deux fois, en 1567 puis en 1575, au cours de la cinquième guerre de Religion. Il avait tiré des avantages financiers importants de cette seconde campagne. Mais quels qu’aient été les intérêts personnels qui l’engagèrent à intervenir en France, il n’en acquit pas moins aux yeux des réformés un renom et un droit à leur reconnaissance11.
Si Chassanion avait cherché refuge, avec des coreligionnaires, auprès du prince, c’était en raison du sort alors fait aux réformés à Metz, un épisode de l’histoire particulièrement complexe de la Réforme dans cette ville, conséquence de son statut politique12. République oligarchique gouvernée par un magistrat depuis que les évêques avaient été évincés du pouvoir temporel au XIIIe siècle, Metz faisait partie du Saint Empire romain germanique. Dans le conflit qui opposa Henri II aux Habsbourg, des troupes royales occupèrent en 1552 la ville, que les armées impériales assiégèrent ensuite en vain. Le traité de Cateau-Cambrésis, signé en 1559, reconnaissait la protection royale sur Metz13. La ville restait toutefois en droit une cité de l’Empire, dont le rattachement à la France ne serait reconnu qu’en 1648 par les traités de Westphalie14. Les édits royaux ne s’y appliquaient pas d’office, mais seulement si la ville y était mentionnée. Cette situation très particulière influença la manière dont fut mise en œuvre à Metz la politique religieuse royale, entre conciliation et intolérance, politique qui tantôt refoulait les réformés dans la clandestinité, tantôt les en tirait. Chassanion arriva dans la ville quelques mois après la promulgation de l’édit de Beaulieu. Par cet édit signé le 6 mai 1576, au terme de la cinquième guerre de Religion, qui avait été favorable aux réformés, Henri III accordait « l’exercice libre, public et général de la religion prétendue réformée par toutes les villes et lieux de notre Royaume et pays de notre obéissance et protection15». L’édit s’appliqua à Metz, pays de « protection ». Les réformés messins édifièrent alors un temple, rue de la Chèvre. Mais le roi, qui avait signé l’édit à contrecœur, l’abrogea le 22 décembre. Le temple fut fermé, le culte resta toutefois toléré dans plusieurs lieux aux environs de la ville. Le 7 juillet 1585, sous la pression de la Ligue et des Guise, le roi signa le traité de Nemours, qui interdit le culte réformé, avec obligation faite aux pasteurs de s’exiler et aux fidèles de se convertir sous peine d’expulsion en cas de résistance. Pas mentionnée dans le texte, Metz n’était pas concernée par ces mesures. Mais les catholiques demandèrent qu’elles s’étendissent à leur ville, ce que spécifièrent des lettres royales le 23 août. En fait, le traité s’appliqua avec une certaine mansuétude. Le culte fut tacitement toléré à Courcelles, dans les environs de Metz. Chassanion choisit cependant l’exil. C’est sans doute le sort fait aux réformés messins qui lui avait inspiré La Consolation de l’âme. La dédicace le donne à penser : s’adressant aux fidèles qu’il appelle ses frères, il veut leur transmettre un message d’espérance. Et il exprime toute l’affection qu’il éprouve pour eux16.
Dans la dernière page de la dédicace des Histoires mémorables, il fait mention du neveu de Jean Casimir. En 1587, il dédierait à ce jeune prince, alors âgé de treize ans, la seconde édition de De Gigantibus. La première, il l’avait adressée à Claude Antoine de Vienne, comte de Clervant17. Il offrait ainsi son livre en latin à un lettré : originaire de Franche-Comté, Clervant avait fait ses études à l’université de Dole. Mais il honorait aussi un coreligionnaire. En 1553, Clervant avait épousé Catherine de Heu, issue d’une grande famille patricienne messine très tôt acquise aux idées nouvelles. Par ce mariage, il était devenu seigneur de Courcelles, un haut lieu de la Réforme dans le Pays messin. Lui appartenait aussi le château de Montoy, où fut célébré le 2 septembre 1564 le mariage de François de Coligny, frère de l’amiral, avec Anne de Salm. Clervant joua un rôle de premier plan dans la communauté réformée messine et ce, bien avant l’arrivée de Chassanion. Ainsi, à son initiative, vint de Genève un disciple de Calvin, Pierre de Cologne, qui célébra le 25 mai 1561 le premier culte public et organisa l’« Église dressée », selon les recommandations calviniennes18. Ce premier culte avait eu lieu non loin de Metz, en l’église Saint-Privat à Montigny, alors accordée aux réformés. Un temple fut ensuite édifié à Metz, au pied des remparts, temple dit du Retranchement. Si les réformés étaient alors sortis de la clandestinité, ils le devaient à la politique de la régente Catherine de Médicis, qui avait rompu avec celle de son fils François II, décédé le 15 décembre de l’année précédente. Mais Charles IX, revenant à la politique intolérante que son frère avait menée sous l’influence des Guise, avait interdit par l’édit du 6 avril 1569 toute pratique du protestantisme à Metz et dans le Pays messin. Dès le lendemain, des catholiques prirent l’initiative de détruire le temple du Retranchement. Nouveaux revirements : le 25 avril 1571, le roi autorisa le culte dans les environs de Metz, à Courcelles, puis annula cette autorisation le 10 mai et, le 14 octobre, suite à l’intervention de l’amiral de Coligny, il permit la célébration à Montoy, dans le château appartenant à Clervant.
Les réformés messins connurent ensuite encore bien des vicissitudes, on l’a vu. Leur situation commença à s’améliorer durablement en 1592. Par des lettres patentes du 23 mai, Henri IV leur accorda la liberté de culte, liberté qu’ils n’exercèrent toutefois que tacitement, vu l’opposition du clergé catholique. En février 1597, le roi confirma les lettres précédentes et l’année suivante, en avril, fut signé l’édit de Nantes. Clervant n’avait pas connu cette évolution bénéfique et Chassanion mourut peu après la signature de l’édit.
Il n’avait rien publié depuis les Histoires mémorables. En 1592, il fit paraître De la secte des Jésuites. La suite du titre annonce le contenu : combien elle est contraire et à la doctrine de nostre Seigneur, et à la conversation d’icelui19. Chassanion, qui avait jusque-là traité surtout de la justice divine, frappant les coupables et pardonnant aux fidèles, s’engageait ainsi dans la controverse. Qu’il éprouvât le besoin de s’en prendre à un ordre fortement impliqué dans la lutte contre le protestantisme n’a rien d’étonnant. Cet ordre était alors bien implanté non loin de Metz, à Pont-à-Mousson. Dans l’université de cette ville, fondée à l’initiative du cardinal de Lorraine et du duc Charles III, et ouverte en 1574, la direction de deux facultés – théologie, arts et philosophie – leur avait été confiée20. Dans le livre suivant paru en 1595, Histoire des Albigeois, Chassanion présentait la persécution dont les Albigeois furent victimes, ce que précise la suite du long titre : Touchant leur doctrine & religion, contre les faux bruits qui ont esté semés d’eux, & les écrits dont on les a à tort diffamés : & de la cruelle & lõ[n]gue guerre qui leur a esté faite, pour ravir les terres & seigneuries d’autrui, sous couleur de vouloir extirper l’hérésie. Une parole du Christ à ses disciples tirée de l’Évangile selon Luc et imprimée au dos du titre souligne l’intention de Chassanion : « Rien n’est couuert, qui ne se reuele : & rien n’est caché, qui ne se cognoisse. Luc 12. ». Pour rédiger son livre, le pasteur s’est appuyé sur des sources – deux copies de manuscrits, l’un en « language du Languedoc », l’autre « en viel François » –, sources qu’il présente et commente dans un souci qui tient déjà de la rigueur de l’historien21. Chemin faisant, le lecteur ne pouvait manquer de faire le rapprochement entre le sort des Albigeois et celui des réformés. Mais c’est dans le dernier chapitre du livre, intitulé « La semance de la Verité de Dieu n’a pu estre eteinte », que Chassanion s’explique à ce sujet. Cette semence a germé en des lieux qu’il connaît bien pour avoir « serui quelques mois » à Montauban et vécu à Montpellier « où il a pleu à Dieu que i’ay trauaillé des premiers auec sa benediction22». S’il prend une certaine distance par rapport à la pensée des Albigeois, où il voit un « deffaut de l’entiere cognoissance de la doctrine Chretiene », il ajoute : « si est ce toutefois qu’ils ont tous retenu Iesus Christ pour le seul fondemant & entier appui de leur salut sans lui donner aucuns compagnons coaiuteurs, ni receuoir autre moyen de iustice, de sanctification & purgation23. » Par compagnons coadjuteurs, Chassanion entendait le clergé catholique : c’est donc bien le rejet de toute sa hiérarchie qu’il exprime24.
Chassanion dédia à nouveau ses ouvrages à des nobles protestants, ce qu’il ne pouvait faire sans l’accord des dédicataires. Il adressa le premier « A tres haut tres-illustre & tres-vertueux Henry de La Tour, duc de Bouillon, souverain de Sedan, maréchal de France ». Le vicomte de Turenne avait épousé en 1591, avec le soutien d’Henri IV, Charlotte de La Marck, fille du duc Henri Robert de Bouillon et héritière de la principauté de Sedan, un bastion de la Réforme25. Dès lors défenseur efficace de la principauté contre les entreprises du duc de Lorraine et des Ligueurs, Turenne soutint aussi activement les réformés messins. Son Histoire des Albigeois, Chassanion l’offrit à Catherine de Bourbon, sœur d’Henri IV, signant la dédicace « De votre Altesse Tres humble & affectioné seruiteur IEAN CHASSANION ». Liés familialement – ils étaient cousins –, Turenne et Catherine de Bourbon se sentaient aussi proches par affinité. Quand il traite de l’année 1576 dans ses Mémoires, le vicomte rappelle les entretiens qu’il avait eus avec la princesse, entretiens qui durèrent « bien l’espace de quatre ou cinq ans » : « Madame et moy parlions souvent ensemble, de façon qu’elle commença de prendre de la confiance en moy, qui l’honorois fort […] elle me disoit familièrement ses conceptions et moy les miennes26. » De cette relation confiante témoignent des lettres que Catherine de Bourbon adressa au vicomte.
Lui dédiant son livre, Chassanion honorait en elle une princesse fidèle à sa foi. Regardant « la verité de Dieu » comme « un thresor », il écrit : « C’est ce thresor Madame, qui par vne singuliere grace de Dieu vous a esté communiqué des votre enfance, & que vous auez touiours prisé par-dessus toutes choses, & l’auez preferé à toutes les grandeurs qui sont sur la terre27. » Alors qu’Henri IV avait abjuré le 25 juillet 1593, la princesse affirmait sa constance : « avec la grace de Dieu je ne changeray jamais ceste belle resolution », écrirait-elle le 26 janvier 1596 à Théodore de Bèze28. En 1599, sans tenir compte de cette « belle resolution », Henri IV maria sa sœur, pour des raisons politiques, à un prince catholique, Henri de Lorraine, fils du duc Charles III, pensant qu’elle abjurerait. Mais il n’en fut rien en dépit des pressions qu’elle subit29. Dans la dernière lettre qu’elle envoya à Théodore de Bèze, elle affirma à nouveau une fermeté inébranlable : « ma resolution en la profession de la verité30». C’était le 6 décembre 1603. Catherine de Bourbon mourut à Nancy le 13 février 1604. Décédé quelques mois avant le mariage imposé par Henri IV, Chassanion ne connut pas le sort fait à la princesse.
En 1598, donc l’année de sa mort, parut son ouvrage de controverse Loci aliquot communes, praesertim de quibus in Christiani nominis orbe controversia est31. Ce qui avait suscité cet écrit, c’était la récente publication par Robert Bellarmin, théologien jésuite, professeur de controverse au Collège romain fondé par Ignace de Loyola, d’un ensemble de controverses, Disputationes Roberti Bellarmini Politiani, de controversiis Christinianae fidei, adversus huius temporis haereticos. L’ouvrage connut une large diffusion32. Il donna lieu à des réfutations protestantes, ce que rappelle, sur un ton bien évidemment partisan, le Jésuite Nicolas Frizon dans sa biographie de l’auteur publiée à Nancy en 1708 : « les plus sçavants & les plus moderés d’entre eux, essaïerent en vain de mettre au jour de nouvelles réponses, qui retinssent les esprits ébranlez […]33. » Prenant ainsi part à un débat, Chassanion, qui voyait en Bellarmin le coryphée des Jésuites34, était revenu au latin de ses débuts et avait à nouveau rappelé qu’il était originaire de Monistrol.
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2Les titres des livres de Chassanion étant fort longs comme il était alors d’usage, nous n’en indiquons qu’une forme courte. À Metz sont conservés deux exemplaires : un de l’édition bâloise de 1580 (s. n.), l’autre de celle de 1587, parue à Spire, chez Bernardus Albinus (Bibliothèques-Médiathèques de Metz, Collections patrimoniales, Q 939 et Q 940-1).
3Exemplaire : Herzog August Bibliothek Wolfenbüttel, A: 171.32 Quod.(2) (numérisé).
4L’éditeur est Pierre de Sainctandré, à Genève. Exemplaires : Bibliothèque de Genève, Ba 1401 (numérisé e-rara) et Bibliothèque Sainte-Geneviève, Paris, 8 H 195 INV 2728 RES.
5Sur ces dates, voir l’appendice.
6Éd. de 1580, chap. XI, p. 61-62. La question des géants intéressait alors les lettrés.
7Ouvrage publié « A Morges. Par Jean Le Preux, imprimeur de Tres-Puissans Seigneurs de Berne ». Il n’y a ni nom d’auteur sur la page de titre, ni dédicace. Exemplaires : Bibliothèque du Protestantisme français, 8° 10 183 Res et 8° 15 403 Res.
8Le livre de 1581 compte 409 pages et les Histoires mémorables 519.
9Exemplaire : Staatsbibliothek Berlin, Cs 9983 (numérisé). Le livre n’est pas paginé. Dans le corps de l’ouvrage, Chassanion écrit que Journet « fit semblâ[n]t d’estre de l’Eglise reformée ». Les écrits de Journet furent brûlés avec lui. Sont conservées les pièces du procès (BNF, Département des manuscrits, NAF 22700). Elles ont été retrouvées par l’archiviste messin Henri Tribout de Morembert. Voir son ouvrage La Réforme à Metz, Nancy, t. II, Le Calvinisme, 1971, p. 114-117) et l’article de François Berriot, « Hétérodoxie religieuse et utopie politique dans les “erreurs estranges” de Noël Journet (1582) », publié dans le Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français (avril-mai-juin 1978) et repris par l’auteur dans Spiritualités, hétérodoxies et imaginaires. Études sur le Moyen Ȃge et la Renaissance, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 1994, p. 303-314. Julien Léonard a mentionné l’affaire dans les pages 39-40 de son article « Les violences religieuses à Metz (début du XVIe s.-milieu du XVIIe.) », Annales de l’Est, Nancy, 2009, n° 1. Récemment, il lui a consacré tout un article : « Une question religieuse ou politique ? La condamnation de Noël Journet à Metz en 1582 », Le Protestant et l’Hétérodoxe. Entre Églises et États (XVIe-XVIIIe siècles), dir. Yves Krumenacker et Noémie Recous, Paris, Classiques Garnier, 2019, p. 167-187. J. Léonard étudie l’affaire sous un angle nouveau, la replaçant dans le contexte politico-religieux si particulier du Pays messin. Sur le livre de Chassanion, les circonstances de sa rédaction et son contenu, voir les pages 180-185.
10Livre édité par Jean Le Preux (s. l.). Exemplaire : Bibliothèque Sainte-Geneviève, 8 Y 3904 INV 7156 RES (P.2).
11Sur Jean Casimir, voir Volker Press, « Johann Casimir, Pfalzgraf bei Rhein, Landherr von Pfalz-Lautern », Neue deutsche Biographie, Duncker & Humblot, Berlin, tome X, 1974, p. 510-513 (numérisé). Voir aussi Jacqueline Boucher, « Jean Casimir de Bavière, comte palatin », Histoire et dictionnaire des guerres de Religion, Paris, Robert Laffont, 1998, p. 765-766. Le premier article traite surtout de l’œuvre de Jean Casimir dans l’Électorat, le second de ses interventions en France.
12Voir Gaston Zeller, La Réunion de Metz à la France (1552-1648), Paris, Les Belles Lettres, 1926. Voir aussi l’article de Julien Léonard, « Les protestants de Metz et le pouvoir royal au temps des Guerres de Religion (1559-1598) », Le Pays Lorrain, vol. 87, septembre 2006, p. 203-216. Cet article donne une présentation très claire de la situation pour la période qui nous intéresse.
13Ainsi que sur les évêchés de Toul et Verdun.
14Il faut toutefois distinguer le droit et le fait. La mise en place progressive d’institutions françaises – un président à la justice royale en 1554, un procureur général du roi en 1592, un parlement en 1633, un intendant en 1637, des baillages en 1641 – fit du protectorat une annexion de fait (voir G. Zeller, op. cit., t. II, chap. IV et VI). Les Habsbourg avaient tout de suite vu dans les événements messins des ambitions françaises de conquêtes qui en laissaient présager d’autres. Dès 1553, ils firent établir un plan de défense de leurs terres patrimoniales du sud de l’Alsace, le Landsrettung. Selon ce plan, Belfort devait être un verrou. Conquise en juin 1636 par Louis de Champagne, comte de La Suze, la seigneurie de Belfort fut donnée en fief au vainqueur par Louis XIII en juillet. Elle devenait ainsi française de fait douze ans avant la signature des traités de Westphalie.
15Texte cité par Arlette Jouanna, article « Édits de religion », Histoire et dictionnaire des guerres de Religion, éd. cit., p. 877.
16Peut-être était-il déjà en exil quand il rédigea ce texte. Mais en l’absence de preuves, on ne saurait l’affirmer.
17Voir Roger Mazauric, « Claude-Antoine de Vienne, Sieur de Clervant (1534-1588) », Annuaire de la Société d’histoire et d’archéologie de la Lorraine, Metz, 1968, p. 83-152.
18Clervant joua aussi un rôle diplomatique. Il intervint notamment dans la négociation d’un accord entre Henri de Condé et Jean Casimir. Voir Julien Léonard, « Les protestants de Metz et le pouvoir royal au temps des Guerres de Religion
19Ouvrage édité par Jean Le Preux (s. l.). Exemplaire : Bibliothèque Sainte-Geneviève, 8 Z 4779 INV 7901 FA.
20Un collège de l’ordre avait été fondé en 1570 à Verdun, à l’initiative de l’évêque. D’autres suivraient dans des villes de Lorraine, mais après le décès de Chassanion.
21Préface, p. 11-20.
22Chap. XX, p. 251.
23Ibid., p. 250.
24Voir Yves Krumenacker, « La généalogie imaginaire de la Réforme protestante », Revue Historique, Presses Universitaires de France, t. 308-2, n° 638, 2006, p. 259-289 (article disponible en ligne : www.cairn.info). L’auteur étudie la recherche par les protestants, luthériens et réformés, de précurseurs. Il y est longuement question des Albigeois (p. 270-288). Chassanion est mentionné (p. 271).
», éd. cit., p. 211.
25Les deux fils du duc de Bouillon étaient morts sans alliance en 1587 et 1588. Charlotte, qui décéda en 1594, avait légué ses biens à son mari. Le vicomte se remaria avec une cousine de Charlotte, fille de Guillaume le Taciturne (le maréchal est le second des fils nés de ce remariage). Il continua l’œuvre de son beau-père : il fonda à Sedan une bibliothèque et une académie pour la jeunesse, où furent formés de futurs pasteurs.
26Mémoires du vicomte de Turenne depuis duc de Bouillon 1565-1586, éd. comte Baguenault de Puchesse, Société de l’Histoire de France, Paris, Librairie Renouard, 1881, p. 118.
27Les citations sont extraites des pages 3 et 4 de la dédicace. Chassanion écrit aussi « votre sainte perseuerance Ma Dame, nonobstant toutes les ruses de l’esprit malin » (p. 8-9), pensant sans doute à des tentatives de conversion. La princesse ne pouvait qu’accueillir favorablement l’Histoire des Albigeois « assaillis & deuorés par vne miliasse de loups enragés, pour ne vouloir consentir aux ceremonies & superstitions de l’Eglise Romaine. » (p. 7).
28Lettres et poésies de Catherine de Bourbon, éd. Raymond Ritter, Paris, Champion, 1927, p. 125. La princesse adresse à Bèze « pour en estre juge » des poèmes qu’elle a écrits : « Parmy mes douleurs, je m’esbats quelquefois à parler à Dieu avec ma plume […]. » Il ne reste que très peu de poèmes de Catherine de Bourbon. R. Ritter les a publiés (p. 206-210).
29Sur le mariage et la résistance de la princesse dans sa foi, voir Marie-Hélène Grintchenko, Catherine de Bourbon (1559-1604). Influence politique, religieuse et culturelle d’une princesse calviniste, Paris, Honoré Champion, coll. « Vie des huguenots » (n° 50), 2009, Part. II, chap. VI, p. 657-707.
30Lettres et poésies, p. 196-197. Mariée le 31 janvier 1599, la princesse avait déjà écrit le 23 juillet de cette année à Bèze sa résolution de « vivre et mourir » dans sa religion (p. 163).
31Publié par Jacob Chouët (s. l.). Louis Desgraves pense qu’il parut à Genève. Voir son Répertoire des ouvrages de controverse entre Catholiques et Protestants en France (1598-1685), Genève, Droz, tome I, 1984, p. 11, n° 22. Exemplaire : Bibliothèque Sainte-Geneviève, 8 D 7111 INV 8704 FA.
32Nous avons consulté l’exemplaire conservé à la Bibliothèque universitaire de Bâle (Steff 742). Parue à Ingolstadt de 1589 à 1593, cette édition est en huit tomes, auxquels s’ajoute un Index.
33La Vie du cardinal Bellarmin, de la Compagnie de Jésus, p. 104. Cette biographie fut publiée, avec l’approbation du recteur et de deux docteurs en théologie de l’université de Pont-à-Mousson et l’autorisation de l’évêque de Toul, par Paul Barbier, imprimeur du duc de Lorraine. Exemplaire : Bibliothèque Stanislas, Nancy, 50838.
34Dans la suite du long titre on lit In quibus nonnulla Bellarmini Jesuitarum coryphaei sophismata obiter perstringuntur.
L’exemplaire belfortain des Histoires mémorables
De l’ouvrage de Chassanion, qui fut publié par Jean le Preux, sans nom de lieu, mais probablement à Genève, il ne reste que peu d’exemplaires. Le site GLN 15-16 (Bibliothèque de Genève), consacré à la production imprimée des XVe et XVIe siècles des villes de Genève, Lausanne, Neuchâtel et Morges, en recense vingt-cinq dans le monde dont six en France35. Relié en parchemin, celui de Belfort porte un ex-libris manuscrit qui indique la provenance : « aux Capucins de Belfort ».
Les « Capucins de Belfort » et les Histoires mémorables
Ils ignoraient peut-être que Chassanion avait écrit d’autres livres. Mais ils savaient qu’il était pasteur : sous son nom avait été ajouté le mot « Ministre », mais d’une autre main que l’ex-libris. Leur intérêt pour son livre tenait sans doute d’abord à la mission dont, tout comme les Jésuites, ils étaient investis : la lutte contre le protestantisme. Leur couvent avait été fondé en 1619, alors que Belfort faisait partie des terres patrimoniales des Habsbourg, adversaires aussi résolus du protestantisme que les ducs de Lorraine. Ils devaient conforter les habitants dans le catholicisme, alors que des terres voisines – la République de Mulhouse et le comté de Montbéliard – étaient protestantes. Ils avaient donc à s’informer sur ce qu’ils regardaient comme une hérésie. Dans leur bibliothèque, ils pouvaient, par exemple, consulter un volumineux ouvrage de plus de mille pages, L’Histoire de la naissance, progrez et décadence de l’hérésie de ce siècle. Il avait été écrit par Florimond de Raemond, « Conseiller du Roy en sa Cour de Parlement de Bordeaux » et ardent défenseur du catholicisme, ce que traduit le « Vœu de l’Autheur » s’adressant à Dieu : « Voicy à troupes infinies, SEIGNEUR, des ennemis armez, que le Serpent ialoux de ta grandeur, a fait naistre, semant les dents de son enuie dans le champ de ton Eglise, & me voici soudain en camp clos pour la deffendre de ces lyons rugissans, loups rauissans, dragons monstreux, & des mordantes viperes36. » Connaître un ouvrage écrit par un pasteur relevait aussi de leur mission.
Un proverbe en rapport avec le sujet des Histoires mémorables est imprimé au dos de la page de titre : « Le meschant sera surpris par ses iniquitez, & sera apprehendé par les cordes de son peché. Prouerb. 5. ». Se fondant sur des sources qu’il indique, Chassanion traite des méfaits des grands, personnages illustres dont la Bible et l’Histoire lui fournissaient des exemples, mais il étend aussi son propos à toute l’humanité. Parmi les grands figurent des papes, dont il condamne la manière de vivre dissolue. Il consacre ainsi deux pages du chapitre « Des Epicuriens & atheistes » à Léon X : « vn homme du tout voluptueux, adonné aux delices, & fondu en toutes sortes de plaisirs, n’ayant autre soin que de soy-mesme & de l’aise de sa chair, aussi n’auoit-il aucun goust ni sentiment de Dieu, ni de la doctrine de salut, non plus qu’vn chien. » Chassanion rappelle que c’est ce pape qui s’est opposé à Luther : « Cependant ce mal-heureux qui n’auoit non plus de religion qu’vn pourceau, faisoit semblant d’estre protecteur & defenseur de la foy Catholique, faisant la guerre de tout son pouuoir à Iesus-Christ, en la personne de Luther37. » L’évocation de turpitudes papales n’était certainement pas pour plaire aux Capucins, pas plus que le rappel de persécutions contre les protestants38. Mais ils prenaient ainsi directement connaissance du regard d’un pasteur sur des questions et des faits qui restaient d’actualité. Ils voyaient aussi ce qu’il considérait comme des déviances et mettait sous des mots qu’eux-mêmes employaient, par exemple hérétique39.
Et comme ils savaient l’importance primordiale accordée par les protestants, ministres et fidèles, à la Bible, les exemples qu’y avait choisis Chassanion retenaient sans doute d’autant plus leur attention que leurs voisins immédiats, les habitants de la principauté de Montbéliard – comté et seigneuries adjacentes – avaient accès à l’Écriture sainte, ayant appris à lire dans ce but. S’appliquait en effet dans ces terres wurtembergeoises la Kirchenordnung du duc Christophe, qui, traduite en français, fut publiée en 1568. Il y est question des écoles latines et « De la constitution et establissement des Escholes en Francois », où « nõ[n] seulement les garsons, mais aussi les filles, y apprennent à lire ». Les ouvrages recommandés lors de l’apprentissage « sont le Catechisme, le Psaultier, les Sentences de Salomon, Iesus Syrach, le Nouueau Testament, & autres semblables40. » Des écoles s’ouvrirent dans les paroisses : on en dénombrait déjà vingt-cinq en 1600 et cinquante-neuf un siècle plus tard41.
Outre ces informations, ils tiraient probablement aussi profit de la lecture des Histoires mémorables pour la principale tâche qu’ils avaient à remplir auprès des Belfortains. De par le « traité » entre leur ordre et la ville de Belfort signé le 15 juin 1619, ils étaient « obligés de faire Les predications ordinaires dans l’église dudit Belfort tant dans le temps des advents, Caremes que les Dimanches et fêtes solennelles42. » Selon l’inventaire de leurs biens dressé le 9 décembre 1790, près du quart des livres qu’ils possédaient étaient des recueils de sermons43. C’est dire combien la préparation de l’enseignement qu’ils donneraient en chaire les préoccupait. Or bien des pages de Chassanion pouvaient nourrir leurs sermons. Ainsi celles où le pasteur s’en prend aux mœurs dissolues, traitant « de l’oisiueté gloutonie & yurognerie, & des danses & autres telles dissolutions », des « paillards », des « bourdeaux » qui « ne doiuent estre soufferts parmi les Chrestiens »44. Aborder ces sujets à Belfort, ville de garnison, s’imposait si l’on en juge d’après une ordonnance de police de 1729. Les tenanciers de cabarets, souvent d’anciens militaires, y sont accusés de contribuer grandement à la corruption des mœurs : « les cabaretiers qui pendant les offices divins donnent à boire dans leur cabaret que même ils retirent des coureuses et filles de mauvaise vie soit avec des soldats ou autre personne de mauvaise conduite45». Autres chapitres utiles : ceux où Chassanion dénonce des offenses faites à Dieu – « Des blasphemateurs », « De ceux qui profanent le iour du repos46» – ou rappelle que nul n’échappe à la justice divine : « Des punitions communes à toutes gens, à cause de leurs iniquitez » 47.
De la bibliothèque des Capucins à celle de la ville
Comme tous les livres des Capucins, les Histoires mémorables furent saisies à la Révolution. Quand les professeurs de l’École secondaire de Belfort firent le tri des volumes qu’ils conserveraient pour leur établissement, ils gardèrent l’ouvrage de Chassanion. Dans le Catalogue des Livres qui composent la Bibliothèque de l’Ecole secondaire de la ville de Belfort48 qu’ils établirent le 23 septembre 1805, les Histoires mémorables sont classées dans la section « Sciences, Arts et belles lettres », parmi les « Volumes in 8° et in 12° » : « histoires memorables des grands et merveilleux jugemens de Dieu sur Les grands ; 1586. un vol. ». Le nom de l’auteur n’est pas précisé. Le cachet de l’École secondaire de Belfort fut apposé sur la page de titre.
Chargée dès sa fondation en 1872 de gérer la bibliothèque de Belfort, la Société belfortaine d’émulation procéda à l’inventaire des livres et à l’établissement de catalogues. Dans celui publié en 1887, les Histoires mémorables sont classées dans la partie « Histoire, géographie, voyages49». Il est noté que le livre a été publié à Heidelberg. Cette erreur prouve que les membres de la SBE chargés du catalogage avaient lu la dédicace et donc pensé, en l’absence d’une indication du lieu d’édition, que l’ouvrage avait été imprimé dans la ville allemande. La cote H 70 fut attribuée au volume en référence à son classement dans la partie « Histoire » du catalogue. Récemment, une nouvelle cote, qui prend en compte son format, un in-octavo, lui a été donnée : 8°33.
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35Bibliothèque municipale de Belfort, Bibliothèque municipale de Bordeaux, BNF (Arsenal, deux exemplaires), Bibliothèque Sainte-Geneviève et Bibliothèque du Grand Séminaire de Strasbourg. Deux exemplaires sont conservés en Suisse (Genève et Neuchâtel), quatre en Allemagne, sept en Grande-Bretagne, trois à Rome (dont deux à la Bibliothèque Vaticane), deux aux USA et un en Russie. La Bibliothèque de Genève a numérisé son exemplaire (Bc 3216, e-rara). Nous avons localisé un autre exemplaire à la Bibliothèque Mazarine (8° 34259). Il porte plusieurs ex-libris. Un des possesseurs fait mention de « monsieur le cure de saint Martin d’Estampes ». Des exemplaires se trouvent peut-être dans des bibliothèques privées.
36Le « Vœu » n’est pas paginé. Le « camp clos » désignait le lieu où s’affrontaient en un duel deux adversaires. La charge remplie par Florimond de Raemond à Bordeaux est précisée sur la page de titre du livre. Il mourut en 1601. Son ouvrage fut publié à titre posthume en 1605 (privilège royal accordé le 9 octobre 1604) par son fils François de Raemond. Des rééditions suivirent jusqu’en 1648. Les Capucins possédaient un exemplaire de celle de 1618, imprimée à Rouen par Estienne Vereul (Bibliothèque municipale de Belfort, 4° 26). Sur l’importance de ce livre dans l’histoire catholique de la Réforme, voir Bernard Dompnier, Le venin de l’hérésie. Image du protestantisme et combat catholique au XVIIe siècle, Paris, Éditions du Centurion, 1985, p. 34-37.
37Livre I, chap. XXIV, p. 166-168. Sur les relations entre Luther et le pape dans leur complexité, voir Matthieu Arnold, Luther, Paris, Fayard, 2017, p. 99-171.
38Livre I, chap. XIV. Dans ce chapitre intitulé « De ceux qui de nostre temps ont persecuté l’Evangile en la personne des fideles », Chassanion rappelle des persécutions en Provence.
39Livre I, chap. XXI, « Des heretiques ».
40Ordonnance Ecclésiastique, Des Comté, Terres & Seigneuries de Montbéliart, Bâle, Jehan Luc Iselin et Basilius Immanuel Herold (Bibliothèque de Montbéliard, FRM 443-b). Les citations sont tirées des pages 186, 187 et 189. Le « Iesus Syrach » est le Siracide ou Ecclésiastique.
41Voir le « Tableau des écoles de la principauté de Montbéliard » établi par Jean-Marc Debard, « De Farel à Toussain : les trois Réformes de Montbéliard au XVIe siècle (1524-1588) », La Réforme dans l’espace germanique au XVIe siècle. Images, représentations, diffusion (Colloque de Montbéliard, 8 et 9 octobre 2004), Société d’émulation de Montbéliard, 2005, p. 64.
42Un « Arrangement » daté d’août 1769 mentionne aussi les « sermons qu’ils doivent faire dans L’Eglise Collegiale de Belfort ». Une copie du traité de 1619 et l’« Arrangement » sont conservés aux AM de Belfort (GG 1/35). Selon le traité, les Capucins avaient aussi obligation d’entendre en confession « tous les Bourgeois et habitants » de Belfort qui le demanderaient.
43Soit 639 volumes. Inventaire conservé aux AD du Haut-Rhin, L 803. Copie aux AD du Territoire de Belfort, fonds SBE, 5 J YB 8/33.
44Livre II, chap. XXX, XV et XVIII.
45Extrait de l’ordonnance cité d’après Yvette Baradel, « La place de Belfort au XVIIIe siècle », Belfort Forteresse royale Citadelle républicaine, dir. Jean-Pierre Kintz, Gérard Klopp Éditeur, 1997, p. 108. Y. Baradel précise que les cabarets « se multiplient : 16 en 1695, 30 en 1750, 47 en 1769 » (Ibid.). Metz fut aussi une ville de garnison, dont les effectifs étaient très importants. G. Zeller indique qu’en 1583, elle comptait, outre les quatre cents hommes de la citadelle, onze compagnies de gens de pied, une d’arquebusiers à cheval et les hallebardiers (op. cit., t. II, p. 82). Chassanion a donc peut-être prêché sur les questions de mœurs traitées dans les Histoires mémorables.
46Livre I, chap. XXIX et XXX. Quand il rédigea le chapitre « Des blasphemateurs », Chassanion avait sans doute encore à l’esprit l’affaire Journet. Il en fut peut-être de même pour des chapitres concernant le mariage, le divorce (Livre II, chap. XX à XXVI), Journet ayant émis des idées subversives sur ces questions (voir le récent article de J. Léonard, p. 172-173). Il faudrait comparer Des grands et redoutables jugemens et punitions de Dieu et les Histoires mémorables pour en juger.
47Livre II, chap. XLIII. Dans ce chapitre il mentionne la « pestilence », un des châtiments divins (p. 511). Ce ne sont là que quelques exemples de l’intérêt que présentait son ouvrage pour les Capucins prédicateurs. D’autres ecclésiastiques possédaient des livres du pasteur (voir l’appendice).
48AD du Haut-Rhin (4 T 57). Copie aux AD du Territoire de Belfort (fonds SBE, 5 J YB 8/33).
49Catalogue de la bibliothèque municipale publié sous la direction du comité de la Société belfortaine d’émulation, Belfort, Typographie et lithographie J. Spitzmuller, p. 9.
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35Bibliothèque municipale de Belfort, Bibliothèque municipale de Bordeaux, BNF (Arsenal, deux exemplaires), Bibliothèque Sainte-Geneviève et Bibliothèque du Grand Séminaire de Strasbourg. Deux exemplaires sont conservés en Suisse (Genève et Neuchâtel), quatre en Allemagne, sept en Grande-Bretagne, trois à Rome (dont deux à la Bibliothèque Vaticane), deux aux USA et un en Russie. La Bibliothèque de Genève a numérisé son exemplaire (Bc 3216, e-rara). Nous avons localisé un autre exemplaire à la Bibliothèque Mazarine (8° 34259). Il porte plusieurs ex-libris. Un des possesseurs fait mention de « monsieur le cure de saint Martin d’Estampes ». Des exemplaires se trouvent peut-être dans des bibliothèques privées.
36Le « Vœu » n’est pas paginé. Le « camp clos » désignait le lieu où s’affrontaient en un duel deux adversaires. La charge remplie par Florimond de Raemond à Bordeaux est précisée sur la page de titre du livre. Il mourut en 1601. Son ouvrage fut publié à titre posthume en 1605 (privilège royal accordé le 9 octobre 1604) par son fils François de Raemond. Des rééditions suivirent jusqu’en 1648. Les Capucins possédaient un exemplaire de celle de 1618, imprimée à Rouen par Estienne Vereul (Bibliothèque municipale de Belfort, 4° 26). Sur l’importance de ce livre dans l’histoire catholique de la Réforme, voir Bernard Dompnier, Le venin de l’hérésie. Image du protestantisme et combat catholique au XVIIe siècle, Paris, Éditions du Centurion, 1985, p. 34-37.
37Livre I, chap. XXIV, p. 166-168. Sur les relations entre Luther et le pape dans leur complexité, voir Matthieu Arnold, Luther, Paris, Fayard, 2017, p. 99-171.
38Livre I, chap. XIV. Dans ce chapitre intitulé « De ceux qui de nostre temps ont persecuté l’Evangile en la personne des fideles », Chassanion rappelle des persécutions en Provence.
39Livre I, chap. XXI, « Des heretiques ».
40Ordonnance Ecclésiastique, Des Comté, Terres & Seigneuries de Montbéliart, Bâle, Jehan Luc Iselin et Basilius Immanuel Herold (Bibliothèque de Montbéliard, FRM 443-b). Les citations sont tirées des pages 186, 187 et 189. Le « Iesus Syrach » est le Siracide ou Ecclésiastique.
41Voir le « Tableau des écoles de la principauté de Montbéliard » établi par Jean-Marc Debard, « De Farel à Toussain : les trois Réformes de Montbéliard au XVIe siècle (1524-1588) », La Réforme dans l’espace germanique au XVIe siècle. Images, représentations, diffusion (Colloque de Montbéliard, 8 et 9 octobre 2004), Société d’émulation de Montbéliard, 2005, p. 64.
42Un « Arrangement » daté d’août 1769 mentionne aussi les « sermons qu’ils doivent faire dans L’Eglise Collegiale de Belfort ». Une copie du traité de 1619 et l’« Arrangement » sont conservés aux AM de Belfort (GG 1/35). Selon le traité, les Capucins avaient aussi obligation d’entendre en confession « tous les Bourgeois et habitants » de Belfort qui le demanderaient.
43Soit 639 volumes. Inventaire conservé aux AD du Haut-Rhin, L 803. Copie aux AD du Territoire de Belfort, fonds SBE, 5 J YB 8/33.
44Livre II, chap. XXX, XV et XVIII.
45Extrait de l’ordonnance cité d’après Yvette Baradel, « La place de Belfort au XVIIIe siècle », Belfort Forteresse royale Citadelle républicaine, dir. Jean-Pierre Kintz, Gérard Klopp Éditeur, 1997, p. 108. Y. Baradel précise que les cabarets « se multiplient : 16 en 1695, 30 en 1750, 47 en 1769 » (Ibid.). Metz fut aussi une ville de garnison, dont les effectifs étaient très importants. G. Zeller indique qu’en 1583, elle comptait, outre les quatre cents hommes de la citadelle, onze compagnies de gens de pied, une d’arquebusiers à cheval et les hallebardiers (op. cit., t. II, p. 82). Chassanion a donc peut-être prêché sur les questions de mœurs traitées dans les Histoires mémorables.
46Livre I, chap. XXIX et XXX. Quand il rédigea le chapitre « Des blasphemateurs », Chassanion avait sans doute encore à l’esprit l’affaire Journet. Il en fut peut-être de même pour des chapitres concernant le mariage, le divorce (Livre II, chap. XX à XXVI), Journet ayant émis des idées subversives sur ces questions (voir le récent article de J. Léonard, p. 172-173). Il faudrait comparer Des grands et redoutables jugemens et punitions de Dieu et les Histoires mémorables pour en juger.
47Livre II, chap. XLIII. Dans ce chapitre il mentionne la « pestilence », un des châtiments divins (p. 511). Ce ne sont là que quelques exemples de l’intérêt que présentait son ouvrage pour les Capucins prédicateurs. D’autres ecclésiastiques possédaient des livres du pasteur (voir l’appendice).
48AD du Haut-Rhin (4 T 57). Copie aux AD du Territoire de Belfort (fonds SBE, 5 J YB 8/33).
49Catalogue de la bibliothèque municipale publié sous la direction du comité de la Société belfortaine d’émulation, Belfort, Typographie et lithographie J. Spitzmuller, p. 9.
Appendice
Jean Chassanion à Metz
Septembre 1576 – juin 1598 : entre ces deux dates, le séjour de Chassanion à Metz ne fut pas continu, mais connut des interruptions. Le séjour à Heidelberg en est une.
Dans La France protestante, Eugène et Émile Haag avaient consacré un article au pasteur (Paris, Joël Cherbuliez, t. III, 1852, p. 351-352). Il fait partie de ceux qui ont été remaniés et enrichis dans l’édition posthume de leur ouvrage faite sous la direction d’Henri Bordier (Paris, Fischbacher, t. IV, 1884, col. 76-79). On y lit que Chassanion, « un des plus actifs propagateurs de la Réforme en France », arriva à Metz le 1er septembre 1576 et y mourut le 27 juin 1598 : « Le dit jour M. de La Chasse notre ancien pasteur, home docte et grand observateur de la discipline ecclésiastique, ayant longtemps esté tourmenté de goutes et autres maladies, Dieu l’ayant retiré à soy le jour de devant, fut ensepulturé au grand regret de toute l’Eglise se complaignant de la mort d’un sy bon pasteur. » En note, est indiquée une source : « Ext. des regist. de l’église de Metz (CUVIER) ». Dans Les Réformés de la Lorraine et du pays messin, Othon Cuvier a écrit que les « Registres de l’état civil des Réformés de Metz de 1561 à 1685 » étaient « Au greffe de Metz », mais sans donner plus de précisions (Nancy, Berger-Levrault, 1884, p. 4 ; réimpression en fac-similé, Lacour Éditeur, Nîmes, 1996)50. Or aucun des registres conservés aux Archives municipales de Metz ne relève les décès pour la période concernée. C’est à une autre source qu’a dû puiser Cuvier : une chronique protestante dite « anonyme », dont le manuscrit a disparu, mais qui est connue par des copies51. Le texte cité dans l’article de La France protestante reprend en effet très exactement un passage de cette chronique, qui indique en outre que Chassanion mourut le 28 juin et non pas le 27. Henri Tribout de Morembert renvoie à propos de Chassanion à La France protestante (La Réforme à Metz, t. II, éd. cit., p. 105) et apporte une rectification à l’article, le pasteur n’étant pas mort à Metz, mais au sud de la ville : il était en effet chargé du culte à Saint-Privat depuis le 19 octobre 1597 (p. 149).
Au début de l’article, sont données les différentes graphies du nom de Chassanion : « ou Chassagnon, Chassaignon, Chassinon, etc., plus connu sous le surnom de LA CHASSE ». Othon Cuvier écrit « Chassanion (De la Chasse) » (op. cit., p. 18, note 1). On ne saurait dire d’où venait le surnom, mais Chassanion et La Chasse étaient bien une même et unique personne, ce qu’écrivait déjà en 1642 Martin Meurisse, évêque suffragant de l’évêché de Metz, dans son Histoire de la naissance, du progrès et de la décadence de l’hérésie dans la ville de Metz & dans le pays Messin. Mais, sur un ton moqueur, l’évêque fait de Chassanion le surnom : « Iean la Chasse qui se faisoit surnommer, par ie ne sçay quelle espece de gallanterie reformée, Chassanion » (nouvelle impression posthume : Metz, Jean Antoine, 1670, p. 395 ; Bibliothèques-Médiathèques de Metz, Collections patrimoniales, LES 72).
Nicolas Wyriot, éditeur de Chassanion
Les deux premiers ouvrages du pasteur avaient paru en Suisse (Bâle et Morges). Le troisième, La Réfutation des erreurs estranges & blasphèmes horribles contre Dieu & l’Escripture saincte, fut publié à Strasbourg par Nicolas Wyriot, on l’a vu. Cet imprimeur-libraire était originaire de Lorraine. Établi à Strasbourg dans les années 1550, il éditait des livres en latin et aussi en allemand. En 1583, l’année de La Réfutation, il fit ainsi paraître un recueil de psaumes, Psalmen. Für Kirchen und Schulen, dû à David Wolkenstein, un mathématicien et musicien de Breslau, venu à Strasbourg pour travailler à l’horloge astronomique52. La collaboration entre Chassanion et Wyriot se serait peut-être poursuivie, mais l’imprimeur mourut de la peste à l’automne de 1583 à Francfort, où se tenait depuis quelques décennies une foire aux livres. Ce fut à nouveau en Suisse, chez Jean Le Preux puis Jacob Chouët, que le pasteur publia les ouvrages qui suivirent La Réfutation. Jean Le Preux était le fils d’un libraire parisien. Il avait fui la France pour des raisons religieuses, tout comme Chouët, natif, lui, de Bourgogne.
Des marques de provenance dans des exemplaires de livres de Chassanion
Les ex-libris manuscrits ou imprimés sont précieux : indiquant l’identité du possesseur d’un livre, ils témoignent de l’intérêt porté à un moment donné à son contenu. Des exemplaires d’ouvrages de Chassanion conservés à Metz et à Paris ont appartenu à des ecclésiastiques53.
Bibliothèques-Médiathèques de Metz :
De Gigantibus.
Exemplaire de 1580 : ex-libris manuscrit de l’abbaye Saint-Vincent de la ville.
Exemplaire de 1587 : ex-libris imprimé en latin qui précise qu’en 1697 Georges d’Aubusson de La Feuillade (1612-1697), évêque de Metz, légua son exemplaire au collège des Jésuites de la ville, qui le cataloguèrent en 1708, selon une mention manuscrite sur la page de titre.
Bibliothèque Sainte-Geneviève :
De Gigantibus (1580) : ex-dono imprimé. Don en 1710 du livre par Charles-Maurice Le Tellier (1642-1710), archevêque de Reims, à l’abbaye Sainte-Geneviève à Paris. Le donateur était le frère de Louvois.
Histoire des Albigeois, Loci aliquot communes : les deux volumes portent un ex-dono de C.-M. Le Tellier.
De la secte des Jésuites : ex-libris manuscrit de J. Gommeret, de l’abbaye Sainte-Geneviève, daté de 1735.
Un ouvrage du pasteur Andreas Hondorff que connaissait Chassanion
En 1568 parut à Leipzig un livre traitant de manquements aux dix commandements : Promptuarium exemplorum. Historienn und Exempel Buch, dont l’auteur était un pasteur luthérien, Andreas Hondorff (ca 1530-1572), qui avait étudié à Wittenberg et Leipzig. Son ouvrage fut plusieurs fois réédité et traduit en latin dès 1575 par l’historien et théologien protestant Philipp Lonitzer ou Lonicerus (1543-1599), qui l’intitula Theatrum historicum, sive promptuarium illustrium exemplorum. Cette traduction connut elle aussi plusieurs éditions. Chassanion avait lu l’ouvrage de Hondorff, probablement dans sa version latine, et il lui inspira Des grands et redoutables jugemens et punitions de Dieu advenus au monde54. Comme Chassanion, Hondorff intéressait des religieux catholiques : un exemplaire de 1568 conservé à la Bibliothèque d’État de Bavière (numérisé) a appartenu à un collège de Jésuites, ce qu’atteste une marque de provenance de 1605.
Des livres de Chassanion et l’Angleterre
Jean Chassanion était connu dans ce pays. Une adaptation de son livre Des grands et redoutables jugemens et punitions de Dieu, première version des Histoires, fut publiée en 1597 par Thomas Beard sous le titre The Theater of God’s Judgments. L’ouvrage fut ensuite réédité à plusieurs reprises. La Consolation de l’âme fit l’objet d’une traduction parue à Londres. Sur la page de titre de The consolation of the soule, il est noté : « Made by Iohn Chassanion, and englished by H. S. of Greyes Inne. Gent ». La date n’est pas indiquée.
Dans la notice consacrée à Chassanion de sa Bibliographie de la littérature française du seizième siècle (Paris, Klincksieck, 1959), Alexandre Cioranescu mentionne un Excellent traité de la marchandise des prestres, paru à Hanau en 1603, donc après la mort de l’auteur (p. 204). La traduction anglaise – The merchandises of popish priests – fut publiée en 1604 par James Roberts, et rééditée en 1629 avec une nouvelle page de titre par Henry Gosson, imprimeur londonien. Cette page précise que les « popish priests » sont les Jésuites (« A Discouery of the Jesuites Trumpery ») et donne le nom de l’auteur : « Written in French by Iohn Chassanion, and truly translated into English »55. La réédition en 1629 du livre de Chassanion s’inscrivait sans doute dans le contexte politico-religieux d’alors. En 1625, Charles Ier avait épousé Henriette de France, sœur de Louis XIII. Son père, le défunt roi Jacques Ier, avait négocié l’union, bien que le Parlement lui eût demandé de donner à l’héritier du trône une épouse protestante. Si Jacques Ier espérait sceller par ce mariage une alliance avec la France, Richelieu en attendait un retour à terme de l’Angleterre au catholicisme sous l’influence de la jeune reine, très zélée pour la propagation de sa religion. Le pape avait d’ailleurs mis une condition à une union pour laquelle il devait accorder une dispense : dans son nouveau royaume, Henriette de France serait entourée de religieux catholiques. Cette exigence acheva d’indisposer les Anglais. Le livre d’un pasteur français qui dévoilait les tromperies de « popish priests », c’est-à-dire de papistes, ne pouvait que les conforter dans leur sentiment.
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50Othon Cuvier (1812-1896) appartenait à la famille du savant montbéliardais. Il naquit à Nancy, où son père cousin germain de Georges, était pasteur. Lui-même suivit cette voie. Il exerça son ministère à Metz de 1838 à l’annexion. Il quitta alors la ville pour Nancy, où il fut pasteur jusqu’en 1883. Ministre très actif, historien, il contribua aussi à la fondation de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français. Voir Pierre Bronn, « La recomposition du protestantisme lorrain au XIXe siècle. Autour d’Othon Cuvier, ce pasteur qui n’a pas voulu rester “au service de l’Allemagne” », Les protestantismes en Lorraine. XVIe-XXIesiècle, dir. Laurent Jalabert et Julien Léonard, Presses Universitaires du Septentrion, Villeneuve d’Ascq, 2019, p. 481-498.
51Ancien ms. 867 de la BM de Metz. Je remercie Julien Léonard, qui m’a appris l’existence de ce document et fourni toutes les informations le concernant.
52Sur ce recueil, voir Le Vent de la Réforme. Luther 1517, catalogue de l’exposition de la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg (11 mars-5août 2017), p. 126. Un exemplaire en est conservé à la Bibliothèque d’État de Bavière (4 Mus. Pr. 1474, numérisé).
53Mais Chassanion n’intéressait pas que des religieux. C’est à un juriste, Dr. Johannes Nicolaus Cronnagel, qu’a appartenu au XVIIIe siècle l’exemplaire des Histoires mémorables aujourd’hui conservé à la Württembergische Landesbibliothek (Theol. oct. 2958).
54Voir Alexandra Walsham, Providence in Early Modern England, Oxford University Press, 1999, p. 70-72.
55Des exemplaires conservés en Angleterre de The consolation of the soule et des deux éditions de The merchandises of popish priests ont été numérisés (Early English Books Online).
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50Othon Cuvier (1812-1896) appartenait à la famille du savant montbéliardais. Il naquit à Nancy, où son père cousin germain de Georges, était pasteur. Lui-même suivit cette voie. Il exerça son ministère à Metz de 1838 à l’annexion. Il quitta alors la ville pour Nancy, où il fut pasteur jusqu’en 1883. Ministre très actif, historien, il contribua aussi à la fondation de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français. Voir Pierre Bronn, « La recomposition du protestantisme lorrain au XIXe siècle. Autour d’Othon Cuvier, ce pasteur qui n’a pas voulu rester “au service de l’Allemagne” », Les protestantismes en Lorraine. XVIe-XXIesiècle, dir. Laurent Jalabert et Julien Léonard, Presses Universitaires du Septentrion, Villeneuve d’Ascq, 2019, p. 481-498.
51Ancien ms. 867 de la BM de Metz. Je remercie Julien Léonard, qui m’a appris l’existence de ce document et fourni toutes les informations le concernant.
52Sur ce recueil, voir Le Vent de la Réforme. Luther 1517, catalogue de l’exposition de la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg (11 mars-5août 2017), p. 126. Un exemplaire en est conservé à la Bibliothèque d’État de Bavière (4 Mus. Pr. 1474, numérisé).
53Mais Chassanion n’intéressait pas que des religieux. C’est à un juriste, Dr. Johannes Nicolaus Cronnagel, qu’a appartenu au XVIIIe siècle l’exemplaire des Histoires mémorables aujourd’hui conservé à la Württembergische Landesbibliothek (Theol. oct. 2958).
54Voir Alexandra Walsham, Providence in Early Modern England, Oxford University Press, 1999, p. 70-72.
55Des exemplaires conservés en Angleterre de The consolation of the soule et des deux éditions de The merchandises of popish priests ont été numérisés (Early English Books Online).
Visuels
Reliure en parchemin souple
Page de titre. Ex-libris manuscrit des Capucins du couvent de Belfort
Epître dédicatoire.
Le livre est dédié « A tres haut, tres-illustre et tres vertueux Prince, Monseigneur Iean Casimir, Comte Palatin du Rhin, Duc de Bauiere, &c. Administrateur de l’Electorat, Grace & paix en nostre Seigneur Iesus Christ. »